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Arthur Ténor - auteur jeunesse
15 octobre 2021

Souvenons-nous, c'était il y a un an...

Triste anniversaire. Il y a un an...
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Cet événement ignoble m'avait inspiré ce texte en hommage à tous les Samuel Paty de la Terre, en fait à tous les enseignants.
Ma déclaration d'infinie gratitude...

 

Arthur Ténor - Ma déclaration d'infinie gratitude...

« Chaque fois que j’y repense, et j’y repense souvent, s’impose à ma conscience le visage de Mme Touzet. Une dame blonde, avec un visage très clair, et qui dans mon souvenir était toujours souriante, mais pas trop, comme une personne naturellement attentionnée. Je n’ai jamais oublié non plus le timbre très particulier de sa voix, profond, venant du cœur dirais-je aujourd’hui.

C’était en 4ème et j’étais complètement à la ramasse. Ma dyslexie n’avait pas été réglée par mon premier redoublement, en 10ème (le CE1), pas plus que par les stimulations psychologiques de certains adultes, pourtant bien intentionnés : « Tu finiras marchand de cacahuètes ! » (parce que nous habitions en face d’un stade où un vieux monsieur fourbu poussait sa charrette de bonbons et de cacahuètes les jours de match. C’était, semblait-il, une vision de déchéance extrême, censée m’électrochoquer la volonté), « Mon pauvre garçon, tu n’y arriveras jamais si tu continues ainsi »... J’avais si bien réussi à les croire que je suis devenu un parfait décrocheur, jusqu’à ce que tombe la condamnation : « Malheureusement, il n’y a pas d’autre solution pour votre fils. Il va falloir envisager la 4ème de Transition », autrement dit la classe poubelle où il attendra d’avoir 16 ans pour qu’on puisse l’éjecter du système scolaire et qu’il aille se faire voir ailleurs, dans un monde de déclassés où l’on se fichera qu’il confonde les p et les q, les c et les s et qu’il s’emmêle les pinceaux avec les doublements de consonnes. J’ai tellement pleuré et protesté pour qu’on ne m’expédie pas dans ce que je savais être le purgatoire des ratés du système, que Mme Touzet a proposé une solution : « Il te reste un trimestre pour te rattraper, et je t’aiderai, mais seulement si tu le veux. » J’ai dit oui. Mes parents lui ont alors demandé si elle acceptait de me donner des cours de rattrapage (en français ) après ses propres cours. Ils ont également sollicité ma prof de Maths – j’ai oublié son nom et je m’en veux terriblement. Les deux enseignantes ont accepté et, se faisant, m’ont sauvé l’avenir.

Quand je repense à cette époque, c’est donc le visage de Mme Touzet qui s’impose, ainsi qu’un souvenir, très précis, très fort : un jour, elle rendait à ses élèves les copies de la dernière rédaction réalisée en classe. D’habitude, mes notes dans ce genre d’exercice oscillaient entre 6 et 10. Souvent moins, jamais plus. Quand vint mon tour, elle se planta à deux pas de ma table et me considéra, longuement ai-je en mémoire, sans doute une ou deux secondes en réalité. Dans ses yeux, je fus saisi par l’inquiétude d’y lire quelque chose ressemblant à du renoncement. Après des semaines de cours de rattrapage, mes efforts – j’étais pourtant devenu un élève studieux – avaient donc été vains ? Et nous étions à l’heure du verdict… Elle posa doucement ma copie sur ma table. 17/20. Je l’ai regardée, tout éberlué. Mais pourquoi donc  avait-elle l’air désolé ? Plus tard, j’ai compris que c’était sans doute parce que le conseil de classe avait décidé que, malgré mon âge et un premier semestre calamiteux, j’étais autorisé à redoubler ma 4ème. Je n’allais plus en Transition. Je reculais juste d’une case. Malgré cela, cette belle victoire semblait être pour elle une semi-déception, non pas à cause de moi, mais d’elle-même, comme si elle avait en partie échoué en ne parvenant pas à convaincre le conseil de classe de me faire passer en 3ème. C’est en tout cas ce que j’ai déduit de son étrange expression.

Ainsi donc, alors que j’étais en train de me noyer, deux profs de collège m’ont tendu la main. Cela a suffi pour que j’aie pu m’extraire, par mes efforts, du marécage de l’échec et de la perte de confiance où je m’enfonçais lentement et sûrement.

Ce n’est pas fini. Car j’ai revu Mme Touzet. Trente ans plus tard, alors que j’étais devenu auteur pour la jeunesse. Son mari, ancien professeur d’histoire-géographie, écrivait des essais historiques. À ce titre, il était invité dans les salons et fêtes du livre de notre région. C’est à l’une de ces occasions que j’ai vu se présenter devant mon stand une dame âgée au visage très clair, légèrement souriant. Mon cœur s’est serré comme une éponge. Je me suis levé de ma chaise. « Madame Touzet ». Elle regardait mes piles de romans en hochant légèrement la tête. Je balbutiai : « Vous vous souvenez de moi ? J’étais l’un de vos élèves en 4ème, je me prénommais alors Christian ? » « Oh oui, très bien. Vous avez fait votre chemin je vois ». Je suis incapable de me rappeler ce que j’ai répondu, à cause de l’émotion sans doute. Ce devait être quelque chose comme : « Oui et... Merci ! Merci du fond du cœur ! Car si je suis là aujourd’hui, à signer mes livres à quelques tables de votre mari, c’est grâce à vous, et à votre collègue de Maths. Grâce à vous, Mme Touzet ! Grâce à vous ! Jamais je ne le répèterai assez. »

Arthur TÉNOR, le 1er novembre 2020

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